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Du sang dans le bas de laine

La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ)
complice de violation du droit international et de crimes de guerre

Document de synthèse en soutien à la rencontre du 7 août 2024 d’une délégation de la Coalition du Québec URGENCE Palestine avec la CDPQ.

Table des matières : 

1) INTRODUCTION 

2) RESPECTER LE DROIT INTERNATIONAL 

3) QUATRE CAS-TYPES D’INVESTISSEMENTS DONT NOUS DEMANDONS LE RETRAIT 

  1. WSP 
  2. ALSTOM 8
  3. CATERPILLAR 
  4. LOCKHEED MARTIN 12

4) CONCLUSIONS ET ATTENTES 14

COMMENT INTERPRÉTER LE COMPORTEMENT DE LA CDPQ ?

  • INTRODUCTION

Tout d’abord, nous tenons à vous remercier d’avoir accepté de rencontrer la Coalition du Québec URGENCE Palestine. Notre demande du 2 juillet dernier était accompagnée d’une lettre intitulée « La CDPQ doit cesser d’être complice des crimes d’Israël contre le peuple palestinien ». Cinquante-huit (58) organisations avaient alors signé la lettre. Aujourd’hui, le nombre de signataires a atteint la centaine et il continuera de s’accroître au cours des prochaines semaines.

Pour l’essentiel, notre lettre mettait en cause « des investissements de la Caisse totalisant 14,2 milliards dans 87 entreprises dont certaines activités économiques les rendent légalement complices de violations de droits et de crimes commis par Israël contre le peuple palestinien ». Notre lettre référait à trois sources distinctes concernant ces 87 entreprises et les activités mises en cause. Il s’agit d’activités qui contribuent à l’occupation et/ou à la colonisation par Israël du Territoire palestinien occupé (TPO) conquis par la force en 1967, composé de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza. Occupation et colonisation illégales depuis des décennies, tel que confirmé à nouveau par la Cour internationale de justice (CIJ) dans son avis consultatif du 19 juillet dernier. Il s’agit aussi de compagnies qui fournissent du matériel militaire à Israël dans le cadre de son assaut génocidaire actuel contre Gaza et de sa répression accrue en Cisjordanie occupée depuis maintenant 10 mois. Nos demandes étaient – et demeurent – que la CDPQ 

=> « Retire immédiatement ses 14 milliards $ d’investissement dans les 87 entreprises identifiées comme complices du génocide, de l’occupation et de la colonisation israéliennes et des violations des droits du peuple palestinien;

=>  Mette en place un processus transparent de contrôle pour garantir qu’aucune entreprise dans laquelle elle investira à l’avenir n’est associée à des violations des droits humains et du droit international. »

Le 18 juillet, Madame Poirier nous a fait savoir que la Caisse acceptait de nous rencontrer. Elle nous transmettait en pièce jointe, soi-disant en réponse à notre communication, une lettre signée par M. Marc-André Blanchard, premier vice-président et chef, CDPQ mondial et chef mondial de l’investissement durable.

D’entrée de jeu, nous désirons vous dire que la lettre de M. Blanchard ne constitue PAS, à nos yeux, une réponse à notre communication.

Premièrement, elle contient surtout des généralités sur votre ouverture au dialogue, vos pratiques responsables, votre application rigoureuse des critères ESG, etc. Cependant, elle ne nous explique nullement quel est votre cadre de gouvernance et la manière dont vous vous assurez que vos investissements respectent les droits humains. Comme la Caisse est le “bas de laine” des Québécois.es, en tant que citoyen.nes nous sommes préoccupé.es par la légèreté avec laquelle vous semblez aborder ces enjeux.

Deuxièmement, la lettre de M. Blanchard aborde des préoccupations qui ne sont pas les nôtres. En mentionnant, par exemple, que la CDPQ ne procédera « à aucun nouvel investissement dans la zone de guerre » jusqu’à nouvel ordre. Ou encore que «l’exposition directe [de la Caisse] en Israël représente moins de 0,1% de votre portefeuille ». Dans notre lettre, il est question d’investissements totaux de 14,2 milliards de dollars, soit plus de 3 % de votre portefeuille. Mais surtout ce que nous contestons ce sont les investissements de la Caisse dans des compagnies qui mènent des activités économiques complices de l’occupation militaire et de la colonisation israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et/ou des activités économiques complices du génocide en cours à Gaza.  Le droit international affirme clairement que ces trois parties du Territoire palestinien ne sont pas « en Israël », comme le laisse entendre la lettre de M. Blanchard, et nous sommes très préoccupés par le fait que la Caisse ne semble pas faire cette distinction capitale au sens du droit international.

Finalement, dans les deux seules phrases où il est spécifiquement question « des investissements soulevés dans notre lettre », M. Blanchard écrit qu’il s’agit pour l’essentiel de multinationales présentes partout dans le monde, desquelles vous vous attendez à ce qu’elles « respectent les plus hautes normes partout où elles opèrent ». Or, contrairement à vos attentes, ces multinationales ne respectent absolument pas ces « plus hautes normes » en ce qui concerne le Territoire palestinien occupé et c’était là tout l’objet de notre communication avec la Caisse. En effet, ces compagnies mènent bel et bien des activités, dans et en rapport avec le TPO, qui les rendent complices des violations du droit international que constituent l’occupation et la colonisation de ce territoire par Israël, et le génocide qu’il est en train d’y commettre.

Il est choquant que la Caisse ne trouve, face à nos demandes, rien de plus à répondre que les généralités hors-sujet dont je viens de parler. Surtout quand on tient compte du grand nombre de démarches qui ont précédé la nôtre sur les mêmes enjeux depuis deux ans, notamment celles de BDS-Québec et du Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises en 2022, les deux lettres de Me Fauteux et de ses six collègues experts de classe mondiale en droit international dans Le Devoir du 23 novembre 2023 et du 24 mai 2024, votre rencontre avec lui du 15 avril 2024, les interventions de M. Haroun Bouazzi, député de Québec Solidaire, en Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale du Québec le 2 mai 2023 et le 24 avril 2024, et les revendications du campement Al-Soumoud au Square Victoria qui a été démantelé par le Service de police de la Ville de Montréal le 5 juillet 2024.

Nous savons que la CDPQ peut faire mieux concernant son cadre de gouvernance et il existe des exemples à suivre à cet égard ailleurs dans le monde. C’est pourquoi nous vous exposerons maintenant en détail nos préoccupations et nos demandes :

  • D’abord avec un court résumé du droit international applicable en la matière, à la lumière de l’avis consultatif de la CIJ du 19 juillet 2024 et des Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme;
  • Ensuite, par l’examen de quatre cas-types parmi les 87 entreprises ciblées, à titre d’exemples des activités que nous dénonçons et qui devraient également préoccuper la Caisse;
  • Finalement, nous expliciterons ce que nous attendons de la CDPQ.

 

  •  RESPECTER LE DROIT INTERNATIONAL

Puisque la Caisse se targue de respecter les plus hauts standards éthiques, nous aimerions attirer votre attention sur deux éléments importants concernant les normes éthiques internationales dont devrait tenir compte la Caisse si elle veut être à la hauteur de ses affirmations: l’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 19 juillet dernier et les Principes directeurs des Nations-Unies sur les entreprises et les droits de l’homme.

L’avis de la CIJ porte notamment sur les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques israélienne dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, pour Israël, les autres États et l’ONU. Nous n’en ferons pas une analyse exhaustive, mais nous allons en identifier un certain nombre d’éléments dont devrait normalement tenir compte la CDPQ  lorsqu’elle prend des décisions concernant ses investissements.

Premièrement, la CIJ rappelle que le Territoire palestinien occupé (TPO), composé de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza, constitue une seule et même entité territoriale, dont l’unité, la continuité et l’intégrité doivent être préservées et respectées.

Deuxièmement, ce territoire est occupé illégalement par Israël suite à une guerre, celle de 1967, ce qui contrevient à la fois à la Charte des Nations-Unies et aux Conventions de Genève qui régissent les affrontements armés.  La Cour considère que l’utilisation abusive persistante, par Israël, de sa position en tant que puissance occupante en annexant le TPO et en imposant un contrôle permanent sur celui-ci, ainsi qu’en privant de manière continue le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, viole des principes du droit international et rend illicite la présence d’Israël dans l’intégralité du TPO.

Troisièmement, à la faveur de cette occupation illégale, Israël se livre à une colonisation tout aussi illégale. La Cour relève qu’à partir de 1967, Israël a pris diverses mesures tendant à modifier le statut de la ville de Jérusalem. Elle souligne, et ceci a des conséquences directes pour les investissements de la Caisse dans WSP et Alstom, qu’Israël « a pris des mesures visant à intégrer les infrastructures de Jérusalem-Est à celles de Jérusalem-Ouest, notamment par la création d’un réseau de transport public unique ». La Cour remarque également que le transfert, par Israël, de colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ainsi que le maintien par cet État de leur présence, est contraire au droit international humanitaire. Elle note, en outre, que l’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est repose sur la confiscation ou la réquisition de vastes étendues de terre et observe que les biens publics confisqués ou réquisitionnés pour le développement des colonies israéliennes profitent à la population civile des colonies, au détriment de la population palestinienne locale, ce qui contrevient aussi au droit international humanitaire.

Quatrièmement, Israël contrevient à la Convention internationale concernant la discrimination raciale et au deux Pactes relatifs, respectivement, aux droits civils et politiques et aux droits économiques sociaux et culturels. La Cour est d’avis que le régime de restrictions générales qu’Israël impose aux Palestinien.nes est constitutif de discrimination systémique. La Cour observe en outre que les lois et mesures d’Israël imposent et permettent de maintenir en Cisjordanie et à Jérusalem-Est une séparation quasi complète entre les communautés des colonies et les communautés palestiniennes, ce qui correspond à la définition de l’apartheid.

Cinquièmement, la Cour conclut qu’«Israël n’a pas droit à la souveraineté sur quelque partie que ce soit du Territoire palestinien occupé et ne saurait y exercer le pouvoir souverain du fait de son occupation. Les préoccupations d’Israël en matière de sécurité ne sauraient non plus l’emporter sur le principe de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force » (254).

Sixièmement, la Cour examine les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël et de l’illicéité de sa présence continue dans le TPO pour Israël, pour les autres États et pour l’ONU. Nous rappellerons celles qui concernent les autres États : a) ne reconnaître aucune modification du caractère physique ou de la composition démographique, de la structure institutionnelle ou du statut du territoire occupé par Israël le 5 juin 1967, y compris Jérusalem-Est; b) faire une distinction, dans leurs échanges avec Israël, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967;  c) ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite d’Israël dans le TPO; d) ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette présence; e) veiller à ce qu’il soit mis fin à toute entrave à l’exercice du droit du peuple palestinien à l’autodétermination résultant de la présence illicite d’Israël dans le TPO. Ces conséquences sont erga omnes et s’appliquent donc également aux fonds d’investissements comme la Caisse.

En défendant les investissements de la Caisse en rapport avec le TPO, dont l’avis consultatif de la CIJ a depuis confirmé qu’ils violent le droit international, M.Émond a aussi affirmé le 24 avril 2024 que la politique de la Caisse en matière de droits humains est fondée sur les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’ONU.

On peut sérieusement en douter puisque ces investissements sont contraires au Principe directeur 13, qui exige des entreprises « qu’elles évitent d’avoir des incidences négatives sur les droits de l’homme ou d’y contribuer par leurs propres activités, et qu’elles remédient à ces incidences lorsqu’elles se produisent », et « qu’elles s’efforcent de prévenir ou d’atténuer les incidences négatives sur les droits de l’homme qui sont directement liées à leurs activités, produits ou services par leurs relations commerciales, même si elles n’ont pas contribué à ces incidences. »

Les Principes directeurs s’appliquent « à toutes les entreprises commerciales, (…) indépendamment de leur (…) secteur », ce qui est le cas de la Caisse. Celle-ci a donc la responsabilité de prévenir ou d’atténuer les incidences négatives sur les droits humains liées à ses investissements, ce que, manifestement, elle omet de faire, se rendant ainsi complice de ces violations des droits humains.

Les investissements de la Caisse en rapport avec le TPO sont également contraires à la résolution 31/36 adoptée par le Conseil des droits de l’homme en 2016, résolution qui encourage les entreprises à prendre toutes les mesures nécessaires pour appliquer les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits humains, les normes et le droit internationaux pertinents en ce qui concerne leurs activités dans les colonies israéliennes ou en rapport avec celles-ci et avec le mur dans le TPO, y compris Jérusalem-Est, afin d’éviter l’impact néfaste de ces activités sur les droits humains et d’éviter de contribuer à l’implantation ou au maintien de colonies israéliennes ou à l’exploitation des ressources naturelles du TPO.

Ne pas le faire équivaut à se rendre complice de violations de droits humains. Ceci s’applique aux investissements de la Caisse dans les 4 exemples que nous allons maintenant aborder.

 

  • QUATRE CAS-TYPES D’INVESTISSEMENTS DONT NOUS DEMANDONS LE RETRAIT

WSP 

Lors de notre rencontre du 15 avril dernier, M. Marc-André Blanchard, premier vice-président et chef, CDPQ mondial et chef mondial de l’investissement durable, m’a informé que la Caisse avait contacté WSP Global Inc. (WSP), au sujet de la lettre que moi et mes six collègues experts de classe mondiale du droit international avions publiée dans Le Devoir le 22 novembre 2023. Il a ensuite dit que WSP avait répondu être partie à un contrat “limité au contrôle de la qualité et des budgets » et que c’était en raison du caractère limité de ce contrat que la Caisse avait décidé de maintenir son investissement dans WSP.

Or, comme le prouve un article de Civil + Structural Media du 20 février 2024 intitulé «WSP Tracks and Manages Critical Jerusalem Light Rail Projects with a Digital Construction Platform», cette information était fausse.

C’est sur la base de cet article que moi et mes collègues avons affirmé dans la lettre que nous avons publiée dans Le Devoir le 21 mai 2024 que WSP fait partie intégrante de l’extension du train léger de Jérusalem, qui contribue au maintien des colonies israéliennes illégales à Jérusalem-Est, annexée par Israël en violation du droit international. WSP a été engagée par Israël comme société de surveillance pour le projet et joue un rôle important, incluant l’examen des dessins et modèles, le contrôle de la qualité et de l’avancement au nom de l’État israélien, et la garantie que le projet sera complété conformément aux spécifications. On est donc à des années-lumière d’un contrat « limité ».

  1. Emond a donc, sciemment ou non, induit en erreur la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale du Québec lorsqu’il y a affirmé le 24 avril 2024, pour justifier son investissement dans WSP, que « leur implication est assez faible, c’est juste un contrat qui porte sur le contrôle de la qualité, qui est le respect des budgets et de l’échéancier, à distance. »

C’est grave.

Qui plus est, le 7 mai 2024, le bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a émis une demande de soumissions pour mettre à jour la base de données de l’ONU sur les entreprises opérant dans les colonies israéliennes illégales (la base de données de l’ONU). En réponse à cette demande, le 12 juin 2024, Al-Haq, la plus ancienne organisation palestinienne de défense des droits humains, et le mouvement pour une paix juste, une organisation non gouvernementale canadienne, ont fait une soumission sur WSP.

Cette soumission met à jour celle du 15 septembre 2022 demandant que WSP soit incluse dans la base de données de l’ONU, laquelle avait été faite par 105 organisations du monde entier, dont le Canada, et soutenue par d’éminentes personnalités, dont les anciens rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 Michael Lynk, John Dugard et Richard Falk, et le professeur de linguistique émérite Noam Chomsky.

La mise à jour de 2024 analyse dans le détail l’implication de WSP dans de sérieuses violations du droit international, particulièrement à Jérusalem-Est occupée, et réitère la demande faite en 2022 que WSP soit incluse dans la base de données de l’ONU, au motif que l’extension du train léger de Jérusalem équivaut à « la fourniture de services et d’équipements collectifs contribuant au maintien et à l’existence d’établissements humains, y compris les transports », l’une des activités économiques qui soulèvent des préoccupations particulières en matière de droits humains et qui sont explicitement prises en compte par la base de données de l’ONU.

Pour toutes ces raisons, nous exigeons que la Caisse se départe immédiatement de son investissement de 4,1 milliards de dollars dans WSP, une entreprise basée à Montréal dont elle est l’actionnaire majoritaire.

 

ALSTOM

Lors de notre rencontre du 15 avril dernier, M. Blanchard m’a aussi informé que la Caisse avait contacté Alstom au sujet de la lettre que moi et mes six collègues experts de classe mondiale du droit international avions publiée dans Le Devoir le 22 novembre 2023. Il a ensuite dit qu’Alstom avait répondu n’avoir aucune activité dans le Territoire Palestinien Occupé (TPO) et avoir par conséquent demandé d’être retiré de la base de données de l’ONU, et que, pour ces motifs, la Caisse avait décidé de maintenir son investissement dans Alstom.

Or, l’information selon laquelle Alstom n’a aucune activité dans le TPO était fausse.

En effet, en septembre 2020, Bombardier et Alstom ont signé un accord par lequel Alstom a acquis Bombardier Transport. Cette transaction a été finalisée le 29 janvier 2021. C’est pourquoi Alstom, qui figurait dans la base de données initiale de l’ONU en 2020, a été conservée dans la mise à jour de 2023.

En réponse à la demande du bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, le 12 juin 2024, Al-Haq et le Mouvement pour une paix juste ont fait une soumission demandant qu’Alstom soit maintenue dans la base de données de l’ONU et que Bombardier y soit ajoutée, pour les raisons suivantes.

Le rapport Don’t Buy Into Occupation de décembre 2023 et celui de AFSC Investigate de 2020 indiquent que Bombardier Transport collabore avec  l’Israel Railways Corporation, la société nationale des chemins de fer appartenant à l’État, sur la liaison ferroviaire Tel Aviv-Jérusalem. Ce train traverse la ligne verte en Cisjordanie occupée dans deux zones, utilisant illégalement des terres palestiniennes publiques et privées dans le TPO, dont certaines ont été confisquées pour le projet, ce qui est illégal en droit international, au bénéfice exclusif des citoyens israéliens. Malgré l’affirmation de l’entreprise selon laquelle « tout le monde a à gagner » de ce projet, la ligne Tel Aviv-Jérusalem contourne les villes et villages palestiniens et n’est reliée à aucun d’entre eux.

Bombardier s’est impliqué dans ce projet en 2015, lorsqu’il a signé un contrat de 262 millions de dollars avec  Israel Railways pour la fourniture de 62 moteurs électriques pour la ligne reliant Tel Aviv à Jérusalem. Au fil du temps, Bombardier est devenu le principal fournisseur de wagons et de moteurs d’Israel Railways, et il est le fournisseur exclusif de moteurs pour la controversée ligne  Tel Aviv-Jérusalem. 

Le 20 janvier 2019, Al-Haq a envoyé deux lettres au PDG de Bombardier et au président de Bombardier Transport, expliquant en détail comment la fourniture d’équipements pour la liaison ferroviaire Tel-Aviv-Jérusalem et l’entretien de cette liaison peuvent être assimilés à une complicité dans la commission de crimes de guerre. Ces lettres invitaient Bombardier à prendre en compte les violations des droits humains dans les zones liées à ses activités commerciales et soulignaient que le chemin de fer israélien contribue à renforcer la fragmentation des terres palestiniennes et la restriction des déplacements de la population palestinienne, et perturbe la contiguïté territoriale du TPO.

Bombardier n’a pas répondu.

Le 20 février 2020, le Mouvement pour une paix juste et Al-Haq ont adressé une lettre à Alain Bellemare, président et chef de la direction de Bombardier Inc., à Danny Di Perna, président de Bombardier Transport, et à Pierre Beaudoin, président du conseil d’administration de Bombardier Inc., dont voici des extraits : 

Nous comprenons que Bombardier a décidé de se retirer de l’appel d’offres pour la construction de la prochaine phase du train léger de Jérusalem, rejoignant ainsi l’australien Macquarie et l’allemand Siemens. Toutefois, nous croyons également savoir que Bombardier avait déjà conclu un contrat pour la fourniture d’équipements de transport en commun pour le même projet. Nous demandons si le retrait de Bombardier de la prochaine phase de l’appel d’offres inclut l’annulation de tout contrat en cours pour la fourniture d’équipements et/ou d’autres services dans le cadre du train léger de Jérusalem.

 Nous prenons également note de l’annonce par Bombardier, en juin 2019, d’un accord portant sur la vente de 74 voitures supplémentaires à Israel Railways. Nous vous demandons de confirmer que cette transaction n’est pas liée à un projet de construction d’une liaison ferroviaire avec des colonies israéliennes illégales en territoire occupé.

Encore une fois, Bombardier n’a pas répondu.

Bombardier Transport a cependant poursuivi le contrat de remise à neuf de 143 voitures à deux étages TWINDEXX pour Israel Railways, fournissant ainsi de l’équipement pour le train léger de Jérusalem, dont j’ai expliqué plus tôt qu’il contribue au maintien des colonies israéliennes illégales à Jérusalem-Est, annexée par Israël en violation du droit international.

Le document d’enregistrement universel d’Alstom, y compris le rapport financier annuel, daté du 15 mai 2024, fait état à la page 137 d’une participation conjointe (à hauteur de 20 %) et d’une exploitation conjointe dans Jerusalem City Lightrail Ltd., ce qui rend cette société complice du crime de guerre que constituent les colonies israéliennes illégales à Jérusalem-Est.

Pour toutes ces raisons, nous exigeons que la Caisse se départe immédiatement de son investissement de 1,1 milliard de dollars dans Alstom.

 

CATERPILLAR

 

Caterpillar est le plus grand fabricant d’équipement de construction au monde, mais en Palestine, c’est une entreprise qui détruit des maisons, des villages et des vies.

Selon B’Tselem, une organisation israélienne de défense des droits humains,l’armée et l’État d’Israël ont notamment utilisé de la machinerie achetée à Caterpillar pour:

  • Construire des colonies illégales dans le TPO;
  • Construire le mur de séparation, un mur de plus de 700 kilomètres qui a servi à annexer près de 10% de la Cisjordanie;
  • Réprimer des manifestations palestiniennes, comme à Kafr Qadum en 2020, où des bulldozers blindés ont poussé des blocs de pierre sur des manifestants, faisant au moins deux blessés.

L’entreprise est surtout connue pour son rôle dans la destruction à grande échelle de maisons et d’infrastructures palestiniennes dans le TPO. Depuis 1967, Israël a ordonné la démolition d’au moins 18 000 maisons et Caterpillar est l’une des principales compagnies impliquées, toujours selon B’Tselem.

Enfin, l’armée israélienne utilise ces véhicules pour tuer des civils, comme ce fut le cas en décembre dernier. Des ONGs et des journalistes indépendants rapportent que des bulldozers blindés D9 de Caterpillar ont été utilisés pour enterrer vivants des blessés hors de l’hôpital Kamal Adwan de Gaza.

Ces mêmes bulldozers sont aussi impliqués dans des exécutions extra-judiciaires. C’est ce qui s’est passé le 11 août 2014, quand l’armée israélienne a tué Zakaria Al-Aqra, blessé 6 membres de sa famille et détruit sa maison.

Israël conduit régulièrement ce genre de destruction pour punir les familles de Palestiniens arrêtés ou exécutés, souvent sans qu’ils n’aient été reconnus coupables d’aucun crime. Il s’agit d’une forme de châtiment collectif, un crime de guerre selon le droit international humanitaire. En 2019, l’armée israélienne a procédé à 14 destructions punitives et Caterpillar était impliquée dans chacune d’elles.

En 2001, des ONG ont envoyé plus de 50 000 lettres à l’entreprise pour dénoncer sa complicité avec les crimes de guerre israéliens. Le Haut Commissaire des droits de l’homme de l’ONU a fait la même chose en 2017. Le 20 juin 2024, plus de 30 experts de l’ONU ont exigé que Caterpillar arrête tout transfert d’équipement vers Israël.

Caterpillar est donc impliquée dans des violations répétées du droit international humanitaire depuis plus de 50 ans. L’entreprise est bien au courant de son rôle et a eu de multiples occasions de corriger le tir. Elle a systématiquement refusé de le faire.

Ceci n’est pas seulement notre opinion ou celle des experts de l’ONU, mais aussi de KLP, le principal fonds de pension de Norvège, qui a décidé en juin dernier d’exclure Caterpillar de son portefeuille.

On est en droit de se demander pourquoi la Caisse n’a pas fait de même.

Pour toutes ces raisons, nous exigeons que la Caisse se départe immédiatement de son investissement de 77,6 millions $  de dollars dans Caterpillar.

  1. LOCKHEED MARTIN

 

Lockheed Martin est la plus grande entreprise militaire au monde. Cette compagnie américaine fabrique de nombreux systèmes d’armements qui sont régulièrement utilisés pour commettre des crimes de guerre contre la population palestinienne.

Lockheed Martin fournit à Israël plusieurs types d’armes, notamment des avions de chasse F-16 et F-35 qui sont utilisés pour bombarder la bande de Gaza depuis octobre 2023 et lors de chaque offensive militaire israélienne sur ce territoire depuis le blocus illégal de 2007.

  • 2008-2009, opération « Plomb Durci »: plus de 1000 Palestiniens tués, 5000 blessés
  • 2012, opération « Pilier de défense »: plus de 100 Palestiniens tués, 900 blessés
  • 2014, opération « Bordure protectrice »: 2000 Palestiniens tués, 10 000 blessés
  • 2021, opération « Gardien des murs », 250 Palestiniens tués, 2000 blessés
  • 2022, opération « Aube naissante », 50 Palestiniens tués, 250 blessés
  • 2023-2024: plus de 40 000 morts confirmés, 90 000 blessés, 1 900 000 déplacés

Lors de chaque offensive militaire, des preuves de crimes de guerre commis par Israël ont été publiés par des organisations internationales telles que Amnesty International, Human Rights Watch, B’Tselem, Al-Haq, Al Mezan et le Palestinian Center for Human Rights.

Les avions F-16 et F-35 représentent plus du ¾ des avions de chasse d’Israël (le reste sont des F-15 construits par Boeing, dont la CDPQ est aussi actionnaire). Si l’armée israélienne fait une frappe aérienne, en général, c’est avec un avion de Lockheed Martin.

Mais nous ne croyons pas que les statistiques rendent justice aux horreurs infligées à la population palestinienne avec ces armes.

Concrètement, ces avions sont utilisés régulièrement pour larguer des bombes telles que les munitions Mark-84. Ces bombes pèsent 900 kilos, elles peuvent tuer et blesser des gens jusqu’à un kilomètre de leur point d’impact. On parle d’une zone dix fois plus grande que le parc Lafontaine.

Que pensez-vous qu’il se produit quand on se trouve à quelques mètres ou quelques dizaines de mètres d’une telle explosion? 

Ces bombes sont tellement puissantes que même l’armée américaine a arrêté de les utiliser dans des zones densément peuplées. Israël les utilise pour bombarder des camps de réfugiés, des hôpitaux et des écoles, partout dans la bande de Gaza.

Et ce n’est pas difficile à vérifier: une bombe Mark-84 laisse des cratères de plus de 12 mètres de diamètre. Le New-York Times a pu faire un décompte à partir d’images satellite, et conclure qu’entre octobre et décembre 2023, l’armée israélienne aurait conduit au moins 200 frappes avec cette bombe dans la zone qu’elle avait pourtant désignée comme “sûre” au sud de la bande de Gaza.

Et avec quoi effectue-t-elle ces frappes? Des avions vendus par Lockheed Martin. Chaque fois qu’Israël massacre des Palestiniens et Palestiniennes, Lockheed Martin et, à travers elle, la CDPQ, en profitent.

Est-ce ça, les “plus hauts standards d’investissement éthique” de la CDPQ?

Vous ne serez pas étonnés d’apprendre que Lockheed Martin n’a réalisé à ce jour aucune évaluation d’impact de ses activités sur les droits humains (Human Rights Impact Assessment) basée sur les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’ONU. La CDPQ, elle, l’a-t-elle fait?

Pourtant, en 2022 et 2023, des actionnaires de Lockheed Martin ont demandé officiellement à l’entreprise de le faire et ont dénoncé le fait  que les soi-disant « rapports sur les droits humains » publiés par Lockheed Martin ne concernent pas les graves violations commises par l’entreprise.

Pour toutes ces raisons, nous exigeons que la Caisse se départe immédiatement de son investissement de  62,2 millions de dollars dans Lockheed Martin.

  •  CONCLUSION ET ATTENTES

     

À la lumière de l’ensemble des informations évoquées, dans ce contexte inédit, nous n’avons aucun doute quant au fait que la Caisse ne respecte pas le droit international.
Cela dit, nous nous interrogeons sur ses motifs et les justifications qui sous-tendent cette situation. 

Voici quelques éclairages complémentaires :  

EST-CE POSSIBLE DE DÉSINVESTIR AU MOTIF DE VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS? 

  • Oui !  La CDPQ l’a prouvé dernièrement avec son retrait de Policity, par le truchement de Allied Universal, obtenu grâce à une forte mobilisation de la société civile. Il existe de plus des précédents et des bonnes pratiques ailleurs.
  • Le plus grand fond norvégien (KLP Funds) a pris la décision en juin 2021 d’exclure les compagnies faisant affaire en Cisjordanie et dans l’ensemble des colonies israéliennes. Plus récemment, en juin 2024, le fond des municipalités du Danemark a pris la décision de se désinvestir de l’ensemble des entreprises dans la banque de données des Nations Unies, comme participant à la colonisation israélienne  – totalement illégale en droit international. 

Y A-T-IL DES RISQUES À PROCÉDER AU DÉSINVESTISSEMENT ?

 

  • Nous n’en voyons réellement aucun. Le Fonds KLP a pris cette décision  il y a 3 ans, en faisant une déclaration publique à ce sujet. Ce fond a fait le choix de se mettre du côté des obligations internationales et du respect des droits humains, et de considérer ces désinvestissements comme le résultat logique de son devoir de diligence raisonnable (due diligence).

    Cette décision ne semble avoir produit aucune résistance organisationnelle, aucune polémique au sein des instances de gouvernance, ni même de critique de ses affiliés. Dans ses déclarations, le Fonds KLP explique que cette décision les a seulement forcés à recomposer leur portefeuille à la marge; ils ont maintenu leur rentabilité financière, en faisant primer des choix plus respectueux des droits humains. Il est donc possible de bien faire les choses, sans mettre en danger la rentabilité de la CDPQ.

Notons que pour le fond KLP norvégien et le fond danois, ces choix courageux présentent de plus un gain réputationnel fort, un élément distinctif qui permet de les positionner comme des investisseurs institutionnels éthiques, respectueux des droits de la personne à l’international.

Nous savons que la CDPQ déploie, et ce depuis des années, des efforts considérables pour se présenter comme un leader sur la question environnementale. Elle cherche à renforcer la place qu’occupe le Québec à l’international, comme étant une place financière durable. Pourtant, nous savons bien qu’il n’y a pas de durabilité sans respect des droits humains.

 

LA CDPQ A-T-ELLE DES ENGAGEMENTS « FORMELS » DE RESPECTER LE DROITS HUMAINS ? 

  • Comme nous l’avons déjà souligné : Oui x 100 ! La CDPQ adhère à un grand nombre de cadres éthiques, d’initiatives internationales, en plus de ses propres politiques internes. 
  • Outre les références habituelles aux Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, qui sont devenus un cadre récurrent pour le monde de la finance, la CDPQ confirme sans difficulté que « le respect des droits de la personne est incontournable” et qu’elle s’assure en tout temps “de respecter [ses] obligations légales et les normes internationales” (lettre de réponse du 18 juillet de Marc-André Blanchard).  
  • Elle doit se plier aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits humains pré-cités et d’ailleurs évoqués dans sa propre politique, mais aussi aux Principes de l’investissement responsable (PRI) de l’ONU, dont la CDPQ est signataire et qui donne un cadre clair aux investisseurs pour qu’ils opèrent une diligence raisonnable de tous leurs investissements. Ce ne sont que quelques exemples des engagements pris par la CDPQ et qui doivent se traduire en actes concrets, sous peine de n’être qu’un exercice de communication. 
  • Rappelons que la Politique des droits de la personne de la CDPQ indique, au point 2, qu’elle s’engage à : 
    1. [..] ‘’ assurer le respect des droits de la personne dans ses activités d’investissement et ses opérations (…) 
    2. Au point 2.3 :  “dans les cas de violations graves en matière de droits de la personne, user de [ses] leviers d’influence […] auprès d’une société visée afin de […] minimiser les risques de violations futures;»

MALGRÉ TOUS CES ÉLÉMENTS, et comme nous l’avons déjà exposé, au 31 décembre 2023, la CDPQ détenait toujours des actifs de : 

  • 4,1 milliards $ dans WSP, 
  • 1,1 milliards $ dans Alstom, 
  • 62,2 millions $ dans Lockheed Martin et 
  • 77,6 millions $ dans Caterpillar;

Et ce ne sont que quatre exemples des 87 entreprises dont les activités représentent des violations des droits humains, identifiées de longue date par les Nations Unies, AFSC Investigate et World Beyond War.  

COMMENT INTERPRÉTER LE COMPORTEMENT DE LA CDPQ ? 


Nous ne voyons que quatre possibles explications

  1. Les services «professionnels», analystes ESG et analystes de données de la  CDPQ n’arrivent pas à la conclusion que les entreprises évoquées sont complices de violations du droit international et de crimes de guerre
    1. Auquel cas : nous nous interrogeons sur la robustesse de tels services, sur leurs capacités à identifier des enjeux de droits humains ainsi qu’à y remédier dans les temps. Les déposants et le public seraient alors en droit de connaître la qualité réelle des redditions de compte produites à l’interne.
  2. La CDPQ considère mettre en œuvre des moyens suffisants pour éviter que ces entreprises ne soient impliquées dans de futures violations du droit international et crimes de guerre.  
    1. Auquel cas : nous aimerions que la CDPQ fasse un exercice de transparence et d’honnêteté vis-à-vis de la société civile et qu’elle nous explique quelle(s) mesure(s)/mécanisme(s) vont dorénavant être mis en place pour évaluer et  renforcer concrètement le caractère éthique des décisions d’investir dans une entreprise, mais aussi de s’y maintenir. 
  3. La CDPQ considère le maintien de ses actifs dans ces entreprises plus important que l’application de ses propres politiques et de ses obligations en lien avec le droit international.
    1. Auquel cas : aussi cynique que cela puisse paraître, les déposants et le public sont en droit de le savoir, afin d’évaluer leur degré de confort avec cette situation. 
  4. La CDPQ va désinvestir dans les plus brefs délais de ces entreprises, ainsi que de l’ensemble de ses actifs liés à des violations des droits humains, du droit international et à des crimes de guerre..
    1. Auquel cas : c’est une excellente nouvelle. Cette décision va dans le sens du respect du droit international, et représente une approche éthique et solidaire de nos pratiques d’investissement. En cas de besoin ou de doute, la CDPQ peut se référer aux listes internationales d’entreprises précitées et de toutes les études de cas disponibles. De plus, une telle décision mériterait d’être médiatisée, elle confirmerait votre position de leadership dans le marché tout en influençant d’autres détenteurs institutionnels/ fonds de pension à aller dans le même sens. 

 

 

Nous sommes à l’écoute de la CDPQ et des explications qu’elle sera en mesure de nous donner. Cela dit, nous confirmons que l’heure est à l’action rapide pour un désinvestissement massif des entreprises évoquées. Il y a urgence.






 

 

 

 

Références