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« De l’économie d’occupation à l’économie de génocide » : le troisième rapport de la Rapporteuse spéciale de l’ONU, Me Francesca Albanese

Le troisième rapport de la Rapporteuse spéciale de l’ONU, Me Francesca Albanese dénonce nommément la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) parmi les institutions financières, dont les investissements «ont continué à soutenir, à profiter et à normaliser une économie fonctionnant en mode génocidaire».

En date du 30 juin 2025, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Me Francesca Albanese, a rendu public son troisième rapport intitulé De l’économie d’occupation à l’économie de génocide, qui n’est présentement disponible qu’en anglais. Dès qu’il deviendra disponible en français, nous vous en fournirons la référence ici.

Le 3 juillet, Me Albanese a été impliquée dans deux événements dans le cadre de la présentation officielle de ce rapport :

  1. Un dialogue interactif avec le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, dont l’enregistrement est disponible ici :https://webtv.un.org/en/asset/k14/k14llo591tL’intervention initiale de Francesca Albanese est entre 10′ 05″ et 19′ 15″ et elle est suivie de trois heures de déclarations des représentant.es de divers pays.

  2. Une conférence de presse dont l’enregistrement est disponible ici : https://webtv.un.org/en/asset/k1a/k1a90qctnz. La présentation initiale de Francesca Albenese dure 9 minutes et la conférence de presse dure une heure en tout.

Contenu général du rapport

« Dans le présent rapport, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 enquête sur la mécanique corporative qui soutient le projet colonial israélien de déplacement et de remplacement des Palestiniens dans le territoire occupé. Alors que les dirigeants politiques et les gouvernements se dérobent à leurs obligations, de trop nombreuses entreprises ont profité de l’économie israélienne d’occupation illégale, d’apartheid et maintenant de génocide. »

  • Extrait du résumé apparaissant en page couverture du rapport (notre traduction)

Le rapport de Me Albanese examine le rôle que les entreprises israéliennes et internationales ont joué dans la mise en œuvre, le maintien et l’extension de l’occupation et de la colonisation illégales du territoire palestinien par Israël depuis 1967. Et comment leur participation s’est poursuivie et s’est même accrue dans la phase génocidaire actuelle du projet de dépossession du peuple palestinien.

La plus grande partie du rapport est consacrée à illustrer comment huit secteurs clés du monde corporatif ont participé aux crimes d’Israël, les ont facilités, ou ont contribué à les justifier. Ces huit secteurs sont les suivants (rassemblés en trois groupes dans le rapport) :

DÉPLACEMENT FORCÉ DE LA POPULATION PALESTINIENNE

  1. Le secteur militaire, comprenant non seulement les entreprises produisant les armements (telles Elbit Systems, Israel Aerospace Industries, Lockheed Martin), mais aussi tous les intermédiaires assurant leur vente/achat et leur transport, les programmes de recherche permettant de les perfectionner, etc.
    À noter : les dépenses militaires d’Israël ont augmenté de 65 % de 2023 à 2024, garantissant une forte augmentation des bénéfices annuels de ce secteur.

  2. Le secteur technologique, fournissant l’infrastructure civilo-militaire pour intégrer la collecte de données, la surveillance et la génération de listes de cibles par IA (le groupe israélien NSO, IBM, Hewlett-Packard, Microsoft, Alphabet, Amazon, Palantir, etc.).
    À noter : Israël a connu une croissance de 143 % des start-ups dans le domaine de la technologie militaire en 2024, et la technologie a représenté 64 % des exportations israéliennes pendant toute la durée du génocide.

  3. Le secteur de la machinerie lourde, fournissant des équipements de construction, qui sont aussi massivement employés pour la destruction des infrastructures civiles palestiniennes. On parle ici de compagnies comme Caterpillar, HD Hyundai et le Groupe Volvo.

REMPLACEMENT DE LA POPULATION PALESTINIENNE

  1. Le secteur de la construction [des colonies] sur les terres volées, impliquant encore les compagnies mentionnées au point précédent, mais aussi d’autres — comme Heidelberg Materials AG, Construcciones Auxiliar de Ferrocariles, etc. — impliquées dans le développement des routes et des infrastructures de transport public qui sont importantes pour établir et assurer la croissance des colonies en les reliant à Israël.

  2. Le secteur de l’accaparement et du contrôle des ressources naturelles (eau, électricité, charbon, gaz, pétrole) qu’il s’agisse des ressources du territoire palestinien ou de l’acheminement de ressources importées vers ce territoire. Y sont impliquées et en profitent des compagnies comme l’Israélienne Mekorot, pour l’eau; la Drummond Company Inc (É.-U.) et Glencore PLC (Suisse), pour le charbon… en provenance de la Colombie et de l’Afrique du Sud; la Chevron Corporation en partenariat avec NewMed Energy (Israël), et BP PLC, pour le gaz naturel; BP, Chevron et Petrobras, pour le pétrole.

  3. Le secteur du commerce des fruits de l’illégalité, incluant le secteur agroalimentaire, le commerce de détail mondial (ne faisant généralement aucune distinction entre les produits provenant d’Israël et ceux provenant des colonies) et le tourisme sous occupation (Booking.com et Airbnb). Concernant le secteur agroalimentaire, le rapport élabore sur deux compagnies : Tnuva, le plus grand conglomérat alimentaire d’Israël, maintenant détenu majoritairement par le groupe chinois Bright Food (Group) Co, Ltd et Netafim, leader mondial de la technologie d’irrigation au goutte-à-goutte, maintenant détenu à 80 % par la société mexicaine Orbia Advance Corporation…

FACILITATEURS (y compris la CDPQ, qui y est nommée)

« Une liste de facilitateurs – sociétés financières, de recherche, juridiques, de conseil, de médias et de publicité – longtemps impliqués dans le maintien de l’occupation coloniale par le biais du savoir, des récits, des compétences et des investissements, ont continué à soutenir, à tirer profit et à normaliser une économie fonctionnant en mode génocidaire. La présente section se concentre uniquement sur deux catalyseurs clés : le secteur financier et le secteur universitaire ».

  • Paragraphe 72 du rapport (notre traduction et notre emphase)
  1. Le secteur financier fournissant des fonds à l’État israélien et aux acteurs corporatifs. De 2022 à 2024, le budget militaire israélien est passé de 4,2 % à 8,3 % du PIB, entraînant le budget public dans un déficit de 6,8 % qu’Israël a financé en haussant ses émissions de bons du Trésor (dont 8 milliards de dollars en mars 2024 et 5 milliards de dollars en février 2025). Plus de 400 grands investisseurs, originaires de 36 pays, ont acheté ces obligations souscrites par certaines des plus grandes banques du monde, dont BNP Paribas et Barclays. Parmi ces investisseurs, on retrouve les compagnies d’assurance Allianz et AXA de même que les sociétés de gestion d’actifs, Blackrock, Vanguard et PIMCO (filiale d’Allianz). Blackrock et Vanguard sont aussi parmi les plus importants bailleurs de fonds de Palantir, Microsoft, Amazon, Alphabet, IBM, Lockheed Martin et Caterpillar, Chevron et Elbitt Systems.

    « Par le biais de leur gestion d’actifs, elles [Blackrock et Vanguard] impliquent les universités, les fonds de pension et les personnes ordinaires qui investissent activement leurs économies en achetant sur leurs fonds et des fonds négociés électroniquement » (notre traduction et notre emphase)

  1. Le secteur de la production des connaissances et de la légitimation des violations (universités israéliennes et étrangères ayant divers partenariats entre elles et avec certaines compagnies impliquées dans les crimes d’Israël).

Le rapport se termine par plusieurs recommandations, dont celles-ci :

  • aux États membres de l’ONU => d’appliquer contre Israël des sanctions et un embargo total sur les armes, de suspendre les ententes commerciales ou d’investissement avec des entités impliquées dans des activités pouvant mettre en danger les Palestinien.nes, et de veiller à ce que à ce que les entreprises subissent les conséquences juridiques de leur participation à des violations graves du droit international;
  • aux entreprises => « de cesser rapidement toutes les activités commerciales et de mettre fin aux relations directement liées, contribuant et causant des violations des droits de l’homme et des crimes internationaux contre le peuple palestinien, conformément aux responsabilités internationales des entreprises et au droit à l’autodétermination ».

 

Référence explicite à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ)

« Les fonds souverains et les fonds de pension sont également d’importants bailleurs de fonds. […] La Caisse de dépôt et placement du Québec, qui gère 473,3 milliards de dollars canadiens (328,9 milliards de dollars US) de fonds de pension pour six millions de Canadiens, a investi près de 9,6 milliards de dollars canadiens (6,67 milliards de dollars US) dans les entreprises citées dans le présent rapport, en dépit de sa politique d’investissement durable et de sa politique en matière de droits de l’homme. Entre 2023 et 2024, il a presque triplé ses investissements dans Lockheed Martin, quadruplé ses investissements dans Caterpillar et décuplé ses investissements dans HD Hyundai

    • Paragraphe 77 du rapport de Francesca Albanese (notre traduction)


Le rapport pointe donc du doigt la complicité d’une institution québécoise importante : la Caisse de dépôt et placement du Québec (La Caisse). La rapporteuse spéciale souligne explicitement l’augmentation des investissements de La Caisse dans l’entreprise d’armement Lockheed Martin, qui vend des avions de chasse F-35 à l’armée israélienne, et dans les entreprises Caterpillar et HD Hyundai, qui fournissent de l’équipement et de la machinerie utilisés depuis longtemps par Israël pour la destruction systématique des habitations et des infrastructures civiles palestiniennes, y compris dans la mise en œuvre du génocide actuel. Concernant la complicité de ces compagnies, voir les paragraphes 32, 45, 46 et 50 du rapport.

Le rapport fait voler en éclat les prétentions du président et chef de la direction de La Caisse, Charles Émond, à l’effet que le bas de laine des Québécois·es respecterait «les plus hauts standards de gouvernance, de conformité, d’éthique» dans toutes ses activités.

Questionné par la députée Alejandra Zaga Mendez le 6 avril 2025, Charles Émond avait refusé de rendre publique l’analyse de conformité des investissements de la Caisse dans Lockheed Martin à la lumière de sa politique de droits humains. M. Émond a plutôt choisi de se cacher honteusement derrière des supposées consultations avec des «experts de classe mondiale» en droit international dont il refuse de divulguer l’identité aux Québécois·es.

VOIR AUSSI Analyse du rapport 2024 de la Caisse de dépôt et placement du Québec, réalisée par la Coalition du Québec URGENCE Palestine et Just Peace Advocates, 30 avril 2025.